Pour la première fois de son histoire, le Bénin a élu à sa tête un homme d’affaires après les expériences douloureuses d’économistes et autres technocrates. Un an après, l’homme de la rupture qui n’est autre que le magnat du coton Patrice Talon, gouverne le pays comme une entreprise. La nation vert jaune et rouge est depuis le 06 avril 2016 au rythme des réformes qui appellent une nouvelle manière de faire les choses. Ainsi, pour savoir quel est le profil idéal que recherchent les entreprises béninoises dans un contexte pareil, la division économique du journal a enquêté auprès d’une vingtaine d’entreprises. Voici les résultats cette enquête.
Avoir un niveau acceptable, être pointu dans l’analyse et capable de s’adapter aussi rapidement à l’environnement professionnel ; être techniquement au point avec une parfaite maitrise de son domaine ; le tout avec une bonne dose d’audace, de dynamisme et partageant la vision de son entreprise ; voici le profil idéal que recherchent les entreprises béninoises à l’ère des nouvelles réformes. C’est ce qui ressort d’une enquête conduite par la division économique du journal « le Soleil Bénin Infos ». Ainsi, de janvier à mars 2017, cette enquête a été conduite auprès d’une vingtaine d’entreprises béninoises dont le chiffre d’affaires varie entre 30 et 800 millions de francs CFA par an et le nombre d’employés entre 10 et 117. Elle s’est déroulée dans les départements de l’Atlantique et du Littoral et les entreprises interrogées sont issues de divers secteurs notamment du transport, de la santé, des travaux pratiques, de l’agroalimentaire, du consulting, de la mode et du commerce. L’enquête a révélé que dans l’ensemble, les entreprises béninoises vivent des moments difficiles avec une baisse considérable du chiffre d’affaires ces dernières années. Une situation qui est certainement due à la récession économique que vit la sous-région et particulièrement la dévaluation du Naira qui affecte gravement l’économie béninoise. Mais au-delà de cette réalité, il ne faut pas occulter le fait que de 2015 à 2016, le Bénin a connu plusieurs élections qui ont freiné la dynamique de développement du pays. À cela, il faut ajouter la guéguerre entre le chef de l’État actuel et son prédécesseur Boni Yayi. Ce qui a sévèrement détérioré le tissu économique du pays. Selon les chiffres des institutions de Bretton Woods, la reprise en main de la filière coton par l’État béninois aux heures chaudes du conflit Yayi-Talon a fait du mal à la filière qui contribue pour beaucoup au PIB du pays. Notre enquête a surtout révélé que les entreprises qui réalisent les plus grosses performances sont en majorité celles dont les employés sont issus pour la plupart des écoles ou universités privées. Celles qui exercent dans des domaines qui font appel à des compétences purement techniques comme le génie civil, la santé, font exception à la règle.
Le diplôme utile pour occuper les hautes fonctions
Être techniquement bon ne suffit pas pour occuper les hautes fonctions au sein des entreprises béninoises. C’est ce qui ressort des résultats de l’enquête que nous avons menée auprès des entreprises. La quasi-totalité d’entre elles a affirmé que les personnes qui occupent les hautes fonctions au sein de leurs entreprises ont au moins la Licence, c’est-à-dire un BAC+3. Ceci dit, pour occuper des postes importants au sein d’une entreprise au Bénin, il faut faire l’effort d’obtenir non seulement le baccalauréat mais plus la licence, précieux sésame pour empocher un gros salaire. Et si vous en voulez un peu plus ; un master en poche serait une assurance tout risque pour occuper les hautes fonctions.
L’adéquation formation-emploi ; un casse-tête national
D’après les réponses des patrons d’entreprises que nous avons rencontrées, il faut au moins un an afin que les nouvelles recrues ne s’adaptent à l’environnement de travail. Et pour qu’ils satisfassent leurs employeurs, il faut un peu plus d’un an. Ce qui est suffisamment grave pour une entreprise qui entend faire du résultat. Cette situation est certainement liée à la qualité de l’enseignement dispensé dans nos universités et écoles. Un enseignement purement théorique avec des programmes qui datent du temps de Mathusalem. Les grèves répétées, les mouvements étudiants et autres ne sont pas du genre à améliorer la qualité du système éducatif béninois. On peut également noter qu’un étudiant peut finir tout un cursus à l’université (diplôme de Master) sans savoir rédiger un compte rendu, un rapport ou simplement une lettre de motivation. Il existe même des Docteurs dans diverses disciplines qui n’ont jamais été confrontés à l’environnement professionnel. Toute chose qui relance la question de l’adéquation formation-emploi et qui est confirmée par notre enquête. En effet, la quasi-totalité des entreprises interrogées soit 18/20 affirme ne pas être en contact avec l’université ou tout autre institut de formation. Les entreprises béninoises sont donc déconnectées des hauts lieux du savoir et les mémoires étudiants n’abordent aucunement les besoins réels des entreprises.
Moins de 5% du budget consacré à la formation du personnel
L’enquête menée auprès de certaines entreprises béninoises a montré que nos entreprises n’investissent pas beaucoup dans la formation de leur personnel. En dehors de quelques-uns qui franchissent la barre des 10%, la quasi-totalité des entreprises a un budget consacré à la formation en deçà de 5%. Les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires de plus de 300 millions de francs CFA par exemple sont celles qui investissent dans la formation ; c’est ce qu’a révélé l’enquête. Celles ayant une part du budget consacré à la formation très faible, sont celles qui avaient les chiffres d’affaires les plus bas ; du moins selon les réponses données. Y a-t-il donc une corrélation entre la formation du personnel et le chiffre d’affaires ? Difficile actuellement de répondre à cette affirmation sans une étude approfondie. Toutefois, il serait important pour les entreprises à l’ère du Nouveau départ d’accorder une part considérable de leur budget à la formation de leur personnel.
Les grandes recommandations
Au regard des grands enseignements à tirer de cette enquête, il est important pour le gouvernement de Patrice Talon d’assainir l’environnement des affaires. C’est vrai que des efforts ont été faits ces dernières années par l’équipe Yayi mais il faudra des actions plus vigoureuses pour freiner le taux de mortalité très élevé des entreprises béninoises. L’État a le devoir également de payer à temps ses prestataires pour leur permettre de supporter les charges et donc de créer de l’emploi et générer des ressources pour les caisses de l’État. Il faudra également revoir tous les programmes de formation et les cadrer avec les réalités économiques du pays. Ce qui passe par la réalisation d’infrastructures importante pour rendre moderne nos universités et écoles. La motivation du personnel enseignant parait aussi nécessaire pour relever les défis qui s’imposent. Pour un Bénin développé, il faudra également connecter les écoles, universités aux entreprises privées. À ce niveau, il y a des actions prévues par l’Alliance Internationale pour les Objectifs de Développement durable du Bénin (AIODD) qui entend faciliter le contact entre les deux structures. L’objectif étant de permettre aux entreprises de transmettre leurs besoins aux étudiants qui vont ensuite transformer ses besoins en des thèmes de mémoire. Les résultats des recherches sont mis à la disposition des entreprises. Ce qui va renforcer les formations duales et contribuer à développer le secteur privé béninois. L’autre chose à faire est d’inviter les entreprises béninoises à renforcer les capacités de leur personnel pour apporter de la valeur ajoutée à l’économie nationale.
La dynamique CONEB
S’il y a une institution qui s’inscrit dans la dynamique d’apporter un début de solutions aux recommandations émises haut, c’est bien la CONEB (Confédération National des Employeurs du Bénin). La structure dirigée par Albin Féliho est créée en décembre 2015 avec 89 membres, dont 12 fédérations nationales. La CONEB a pour vocation affichée de défendre les intérêts des chefs d’entreprises avec une philosophie humano-centrée, c’est-à-dire qu’elle défend l’homme dans l’entreprise. En effet, l’homme dans les conditions de progrès social optimal à un rendement dans son entreprise, sa productivité a donc un impact sur les résultats de l’entreprise. Le plus important, c’est l’homme au centre de l’entreprise qui a des préoccupations diverses. Quand on parle d’homme, c’est un ensemble de parties prenantes autour de l’entreprise (Employeur, fournisseur, clients, employés…), des vues différentes selon leurs positions, leurs classifications et leurs intérêts. Le rôle de l’employeur est donc de les concilier, les conjuguer vers un but commun : la pérennité de l’entreprise. Le développement de la technologie est une opportunité majeure pour les pays africains ; plus que pour les pays occidentaux. Dans un monde moderne, il faut travailler de concert avec les universités surtout dans le domaine numérique pour définir les besoins de l’entreprise. C’est ce que fait la CONEB qui collabore avec les universités afin de leur permettre de sortir des programmes de formation adaptés à des besoins de demain et non d’aujourd’hui. L’université d’aujourd’hui doit proposer des programmes pour d’ici à 20 ans. Les entreprises ont besoin des diplômés capables d’internaliser des besoins réels de l’entreprise. C’est pourquoi Féliho et ses hommes comptent développer un modèle dual : un temps en entreprise, un temps à l’école pour sortir des « jeunes béton ».
Enquête réalisée par Steve HODA et Zek Adjitchè ALAFAI